Si j’étais courageux, je ne prendrais pas mes jambes à mon cou. Je regarderais en-dessous du lit, j’y débouterai le monstre qui s’y terre. Je sortirais simplement un premier pied dans le froid hivernal de cette chambre-caverne. Le monstre l’aurait apporté. J’étendrai fébrilement le deuxième pied au sol, de peur toujours de se le faire déchiqueter en petits cliquetis. Il respirerait bruyamment, cognant la structure en acajou de mon lit contre le mur dans un fracas épouvantable. Moi seul pourrait l’entendre comme je l’ai déjà entendu. Si j’étais courageux, il y a longtemps qu’il aurait arrêté de manger mes chaussettes, de mâchouiller mes chaussures, de baver sur mes figurines.
Je ne suis pas courageux, je n’ai jamais délogé le monstre sous mon lit. Mais un soir, j’ai quand même pris le bâton, mon sabre de Jedi lumineux. J’ai quand même fais jaillir la lumière qu’il déteste tant. Je suis sûr que sous l’effet du néon vert, en une fraction de seconde, il s’est retranché tout au centre, recroquevillé à son tour. Et je croyais son tour venu, je le croyais tellement que les piles ont lâché.
Ce serait un combat épique, j’en suis sûr. Armé de mon nouveau courage, les couvertures s’animeraient pour faire diversion et pendant qu’il les réduirait en cendres, j’estoquerai le premier coup, sur sa longue queue écaillée. Il riposterait, en bon monstre qu’il est, il riposterait en me griffant le bras. Il aurait bloqué la porte, ne me laissant ni sortie ni espoir d’aide. Je serais seul contre lui. Je ne pourrais que m’en prendre à moi-même. Mon père s’exclamerait de sa chambre que je devais me taire, qu’ils voulaient dormir et ma mère s’inquiéterait peut-être.
Quelqu’un a déjà tué le monstre, en-dessous du lit. Il a déjoué son feu brûlant, emprunté au dragon, lui a coupé les ailes, cousin de la chimère, lui a tranché trois têtes, un nouvel hydre d’Hercule. Ou peut-être qu’un idiot a voulu l’adopter, le monstre, une grosse touffe de poils verte et bleue, il l’a adopté, tellement il avait peur lui aussi.