Manger mes copains.

Manger les contes de la folie ordinaire:

Ce moulin n’est pas vraiment abandonné. On y vit par intermittence, au rythme des saisons. L’été, c’est devant, sur la berge, près de l’entrée fleurie que les gens du voyage s’installent. On y tend le linge entre la poterne à moitié disparue et le pommier. L’automne s’efface de plus en plus, au profit de l’hiver, rude. C’est à cette époque qu’apparaît le clochard du coin. Il squatte, dira t-on. De chez Annabelle, on distingue une lumière vacillante, peu vaillante. C’est le feu qui réchauffe le pauvre vieux, le feu que tout habitant lui a refusé l’histoire d’une nuit. Il y vit depuis des dizaines d’années. De mémoire de jeune adulte, on ne peut se souvenir d’un moulin sans lui, d’un jeudi soir sans qu’il passe devant le portail, les bras chargés des victuailles des Restos du coeur, parce que là-bas, on est forcé de partager. Pourtant, il n’effraie pas les enfants quand, au moment de Noël, ils s’agglutinent devant son logement de fortune et racontent des histoires. Les contes de la folie ordinaire qu’ils les appellent. C’est la maman de la grande maison en pierres apparentes qui les nomment de cette manière. Il ne lui fait pas peur, elle le connaît. C’est son ancien instituteur qui a mal tourné. Et pourtant, « il était bon, ce monsieur » qu’elle disait à sa fille. Mais depuis qu’il était à la rue, il ne savait pas où il passait ses printemps et ses étés. « A la ville », lui disait-on sans apporter la moindre preuve.

Manger du pixel :

UN étage.

A cet étage, la vie est joyeuse, on mange n’importe comment. Des nems, des lasagnes (pas trop de béchamel non plus) mais aussi des bonbons, un tas. Le monsieur barbu de l’appartement à gauche en montant l’escalier ne travaille que si nécessité il y a à le faire. Au dernier moment, c’est le plus marrant. On y joue surtout. Un peu comme une maison de passe, sans toutes les professionnelles mais avec autant de légèreté et de joie affichée. On y joue aux cartes, beaucoup. Plus qu’un hobby passager, c’est une passion partagée pour tous les badauds qui entrent et sortent. Il y fait la fête aussi. Profusion d’alcool, de blagues salaces et surtout de fun. Oui, parce qu’ici, on ne parle pas d’amusement, terme un peu trop éculé, mais de « fun ». Tout y est en couleur, personne ne ressort sans avoir passer un bon moment. Chez lui, tout appelle à l’onirisme: des post-it de couleur un peu partout, de grandes bibliothèques pleine, pour satisfaire la curiosité. Et toujours cette excentricité qui découle des murs, du papier peint, des canapés même. Il s’y abîme les yeux aussi. Il se les achève bien avec les pixels de son ordinateur. Ses jeux en ligne, parties endiablées avec les copains. Dans cet appartement, on y vit bien

Manger des langoustines :

une lampe de chevet

Elle procure un semblant de lumière à cette petite vieille. Un peu de lecture, du bon temps parce que l’insomnie la gagne. Quand elle a finit son film du soir, énième rediffusion d’un Star Wars (ce n’est pas de son âge mais elle se passionne), elle lit un peu. Mais la vue, ce n’est plus ce que c’était. Elle s’amuse du chat aussi, un petit chat qu’elle trouve « tout mignon ». Il lui manque quand elle fait ses courses. Elle le surnomme Petit Mickey parce que c’est drôle, ça fait rire ses copines de belote du mardi. Et un mardi dans le mois, le troisième généralement, c’est elle qui reçoit. Elle sort tout ce qu’elle peut, de peur de ne pas contenter ses invités: gâteaux aux chocolats, cidre fraîchement préparé et parfois, quand elle perd avec sa partenaire, elle va chercher un bon petit rouge, prétexte à se remonter le moral. Ses enfants ne viennent plus trop la voir, ses petits encore moins. Et pourtant, elle se plonge des jours à l’avance dans le repas de Noël, qui approche, pour satisfaire toutes les papilles. Elle aime faire plaisir, Mamie.

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